Pour savoir où l’on va, il est bon parfois de se remémorer d’où l’on vient.
Il y a plus d’un mois déjà, nous passions d’un monde retenu sur lui-même et dans lui-même, à cette crainte ou tant attendue : l’ouverture des portes vers un nouveau possible, celui de nous trouver, après des semaines à essayer de se retrouver, ou tenter de ne pas se perdre.
Pendant ce temps, à la fois relatif et difficile à qualifier, la plupart d’entre-nous avons plongé tête courbée dans une plus grande connexion aux outils virtuels, jusqu’à parfois même se faire vivre une véritable indigestion.
Les avis et la vie des autres sur écran : les humeurs, les espoirs ou les peurs, les chagrins ou les réjouissances de la redécouverte des plaisirs simples et essentiels.
Pour certains, plus de temps pour soi, et pour d’autres du temps à tenir bon.
Dans ce voyage sans nom, nous avons navigué à l’estime et à l’espérance, dans l’espoir de jours meilleurs.
Aujourd’hui les portent semblent ouvertes mais nous avançons pleins de retenue.
Alors, que sommes-nous devenus ?
Il y a quelques semaines, j’écrivais sans retenue quelques lignes sur mon voyage intérieur.
Si cet épisode m’a relié à moi-même, ce qui m’a fait tenir le cap, c’est de penser à nous. A nos lendemains, nos retrouvailles et nos espoirs communs.
Voici d’où je viens.
Voici ce qu’il me reste :
Des questions plus que des certitudes.
Une d’entre-elles me taraude :
Faut-il opposer le réel au virtuel ? Allons-nous vers une confusion des genres ? Vers une cohabitation utile ou périlleuse ?
Le spectacle de notre vivant peut-il le rester en passant par un écran ?
Derrière l’image, je suis là … J’entends, je vois… Mais qu’est-ce que je ressens ?
Je sais et je vois que quelque-part quelque chose se passe, mais je n’y suis pas. L’écran m’offre une fenêtre sur un paysage, une scène de vie… Mais je n’y suis toujours pas. Je reste dedans. Le son est filtré par mon enceinte ou mon casque, et l’image est réduite à la taille de ses pixels et de sa résolution matérielle.
Ici, je suis dans un cocon sécure mais éloignée de ce qui se joue de l’autre côté.
Pourtant ma fenêtre est magique : elle m’offre à loisir toute possibilité à tous les instants de voyager d’un contenu à l’autre. Je vais, je viens, dans un temps et une durée que je décide, sans me déplacer. Ici, j’ai l’impression d’être le seul maitre à bord, et rien ne me destine à me laisser emporter par une vague collective et partagée… d’émotions.
De l’autre côté du voile, des corps de chair et d’os, des voix et des instruments projetées dans l’espace acoustique, des lumières qui m’inondent de toute part ou dansent au-delà de mes focalisations, des parfums que je ne sentirai pas, des artistes et des spectateurs comme moi, vivant dans un espace commun des émotions multiples dont les énergies se chevauchent, jusqu’à s’unir parfois.
Devant mon écran je ne suis qu’un voyageur immobile. Qui peut croire prendre la mer, quand ses deux pieds sont encore sur le sable ? Qui peut croire fouler la terre humaine quand il est encore sur les rails métalliques d’un train sans destination ?
26 Février 2021
« Il est des voyages qui soufflent tout à l’intérieur. Ils mènent aux confins des trajectoires intimes. Plus on roule, plus ça remue. Le paysage est aussi captivant que stupéfiant. Mais ce qui se joue dedans est la clef même de ce que l’on n’osait voir. » NH